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Si l'on veut comprendre la nature véritable de la démarche de Régis Perray nous devons dépasser la simple lecture événementielle qui placerait ses recherches du côté de la performance physique, du goût pour le spectaculaire, voire de la critique des rapports sociaux tels qu'ils sont énoncés dans le monde du travail. Plus profondément, ses activités témoignent d'une grande acuité du regard, cette occurrence qui lie irrémédiablement la pensée et le faire, qui seule permet au corps de prendre la pleine mesure d'un territoire physique qui pour un temps lui appartient ; ses zones occupées ou délaissées qu'il est toujours possible d'investir autrement, de révéler par le presque rien, proche du vide, justement. Dès lors, il ne peut paraître surprenant que la photographie ou le film soient devenus les moyens privilégiés choisis par l'artiste qui, toujours, s'attache à la lisibilité de son propos. L'image-témoin capte ici et avant tout autre chose les mouvements du corps agissant sur la matière du sol. Sol qui, par le jeu du cadrage, apparaît souvent au premier plan, devient parfois ligne, seuil improbable qu'il faudra bien occuper, nettoyer, désemplir comme dans le Balayage de la route occidentale vers la pyramide de Khéphren3 réalisé en 1999. Seuil illusoire s'il en est : toujours les particules de poussières retombent, toujours le flux des marées renaît, toujours les constructions humaines portent en elles leur propre destruction. Face à cet état des choses, nos gestes et nos paroles répondent à leur mesure : ils luttent contre le temps. Les images de Régis Perray nous renvoient à ces quelques certitudes parfois oubliées, elles nous rappellent avec force que l'optimisme, proche de la déraison sans doute, reste un antidote redoutable face aux dangers qui menacent chacun de nous. Ce n'est pas un hasard si la mort n'y est jamais montrée de manière directe, y compris sur les sites archéologiques parcourus en Egypte : elle demeure un horizon, une ligne de fuite, elle ne fait sans doute que décider des nouvelles configurations d'une matière vouée au transit4. Derrière la matérialité de l'image se cache bien une forme de matérialisme philosophique qui librement est donné à voir et à ressentir.
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Cette œuvre semble indifféremment s'en tenir à ses prémices. Elle dit un temps à sa mesure, qu'elle dilate, extrait, et ce temps parle lui aussi. Il faudra dire qu'une forme singulière d'autoportrait semble guider le sens de la démarche de Régis Perray : corps en mouvement dont le visage se dérobe à nous car penché sur les taches physiques à accomplir. Seul regard, celui concentré sur ce qui est en cours, l'action au sol ; ce que relaie parfaitement ces nombreuses images o l'artiste apparaît de profil, accompagnant ce qui apparaît - disparaît sous la répétition des mmes gestes5 : débris, entassements divers qui disent aussi un état du corps. Tel pourrait tre l'un des leitmotivs de Régis Perray : déblayer indéfiniment pour ne pas crouler et se faire une place. Les vidéos6 y ajoutent une dimension supplémentaire : les bruits de respiration s'y offrent comme la marque physique des efforts consentis et entrent ainsi en résonance avec d'autres éléments sonores, ceux émis par les différents outils frappant ou raclant la surface de travail. Manière de montrer que le corps entier participe bien à ses opérations de nettoyage ou de déplacement de matières, occupant l'espace de manière entropique.
L'autoportrait dont il serait ici question, dont la stase de l'image ne donne qu'un aperçu aussi juste soit-il, se manifeste plus durablement dans les textes de l'artiste. Le dictionnaire autobiographique mis méthodiquement en place depuis plusieurs années montre combien lieux et outils sont définis psychiquement et dotés d'un pouvoir d'évocation particulier. Ils parlent et nous parlent d'un sujet qui se définit à partir de l'espace mme de sa parole. Ainsi, l'action de balayer est associée au fait de nommer, de délimiter le quotidien, ne pas oublier le champ de vie ou les mots propres (...) se définissent à l'usage et se modifient avec l'âge7. Se sachant proche d'une démarche de type analytique, l'artiste montre comment la matière mme des mots s'approprie le réel pour lui donner du sens. Sensations physiques et souvenirs, considérations philosophiques et micro récits s'agrègent ici pour dessiner les contours d'une forme de pensée en acte et plus prosaïquement d'un art de vivre. Dans cet espace ou le dire ne se détache jamais du faire, ou le quotidien rejoint parfois l'immatériel, il faudra bien prendre le corps à la lettre, ce qui signifierait lire ses bégaiements ou ses repentirs qui sont autant de manières d'tre véritables. Dire cela enfin : en observant ce qui nous entoure, proche et lointain réunis, nous pouvons panser le monde, reconstruire par nos moyens propres ce qui indéfiniment se dénoue ou abîme. Faire et refaire, prendre acte de la déconstruction pour modestement agir à notre échelle, faire preuve de vigilance, écrire notre histoire.
Extrait d'un texte publié en partie dans le catalogue Sur les sols de Malakoff-Pré-Gauchet. Frac des Pays de la Loire 2002
3 - Photographie présentée dans l'exposition Actif-Réactif, Le Lieu Unique, Nantes, 2000.
4 - "La mort en détruisant les corps n'anéantit pas leurs éléments, elle ne fait que dissoudre leurs unions puis à en combiner d'autres" in De La Nature , Lucrèce, 99-55 av. J.C., cité par Erich Auerbach dans Figura, éditions Belin, 1993.
5 - Il s'agit d'une figure qui revient régulièrement dans les images qui nous sont données à voir, comme par exemple dans Ramassage des ordures, pyramide de Khéphren (1999), Patinage artistique au Musée des Beaux Arts de Nantes (2000) ou bien Balayer, serpiller, se reposer (2002).
6 - Nous faisons référence aux vidéos récentes telles Nettoyer BRICK ou Retrouver la terre, réalisées lors de la résidence de l'artiste dans le quartier Malakoff-Pré Gauchet à Nantes.
7 - In Mots, extrait des Mots propres, petit dictionnaire autobiographique, de Astiquer à Zen.